Philosophie africaine

Terrassé par une leucémie à l’âge de 36 ans, Frantz Fanon – tout à la fois psychiatre, activiste révolutionnaire et théoricien d’une oeuvre inclassable – appartient à cette catégorie rare d’acteurs de leur époque et de leur existence, présent sur tous les fronts importants de sa génération. Enrôlé durant la Seconde Guerre mondiale, objet de racisme en tant que jeune étudiant Martiniquais en France, engagé aux côtés des révolutionnaires algériens et ambassadeur d’une décolonisation panafricaine, toute la vie de Fanon a consisté à chercher, à comprendre, mais également à proposer des solutions cliniques et politiques qui permettraient de sublimer la domination raciste et coloniale qui emmure les peuples opprimés dans le particulier, la déviance, les congédie de l’humanité.

Outre ces aspects biographiques, l’oeuvre de Frantz Fanon offre d’une part les outils théoriques requis pour poser un diagnostic chirurgical des pathologies psychiques, sociales et politiques qu’imprime le potentat colonial sur ceux qu’elle broie ; elle témoigne, d’autre part, des ressorts pratiques qu’exige l’objectif de les surmonter. C’est sans nul doute cette haute exigence éthique, celle d’une alliance entre théorisation et politique, qui continue d’inspirer plusieurs générations jusqu’à nos jours. Resuscité dès les années 1960 par le mouvement des Black Panthers autant que par les études postcoloniales aux États-Unis, Frantz Fanon revient aujourd’hui sur les devants de la scène intellectuelle francophone après un silence assourdissant de plusieurs décennies.

La philosophie africaine ne doit pas manquer ce rendez-vous de la pensée et se doit de revisiter l’actualité de l’oeuvre de Frantz Fanon. En Afrique où il est inhumé et à laquelle il a consacré sa vie, le combat pour la décolonisation reste inachevé (comme d’ailleurs dans les autres postcolonies) pour des raisons que Frantz Fanon anticipait dans ses derniers écrits. L’exigence fanonienne de la quête de l’émancipation et de sa pérennisation, appuyée sur une culture politique et une réflexion rigoureuse, reste d’actualité même si la nature idéologique du pouvoir en postcolonie et, partant, les formes de la lutte ont évolué.

Le cours se propose d’aborder sans complaisance et dans une perspective critique le thème de la libération africaine dans l’oeuvre de Frantz Fanon, son actualité, mais également ses limites. Les enseignements du semestre suivront une répartition en trois parties. Par-delà les effets de distorsions et de mystifications provoqués par le temps, il s’agira dans un premier temps de se doter d’une compréhension solide des outils critiques et théoriques permettant d’éclairer une pensée en action. Nous nous attarderons dans un deuxième temps aux textes touchant à la libération africaine que Frantz Fanon a rédigé en pleines années de lutte nationaliste et décoloniale. Avec les ressources théoriques dont nous héritons et la posture éthique fondamentale d’une praxis émancipatoire, il s’agira enfin de se pencher sur son héritage intellectuel contemporain, sur la pertinence visionnaire de la critique fanonienne des ressacs de la colonialité en postcolonie et des risques inhérents à sa transposition littérale au 21e siècle.